1 juillet 2011 5 01 /07 /juillet /2011 14:44

Le 31 janvier 2000


A Vincennes, «Le Général» tient la troupe à distance.


Hier matin, dès 8 heures, Général du Pommeau, favori du prix d'Amérique qui doit se disputer dans l'après-midi, hante les allées des écuries de l'hippodrome de Vincennes. Avec Jules Lepennetier au volant du camion, son entraîneur-driver, il est parti depuis quatre heures de son fief, près du Mont-Saint-Michel. Richard de Gieter, employé des Hippodromes parisiens, peaufine son tableau d'attributions des box. Belle écriture, crayeuse, bleu-blanc-rouge. On lui fait remarquer que ce choix tricolore n'est pas sympa pour les coursiers suédois, ou pour l'italien. Il suspend sa craie et dit: «Tiens, regarde-le notre frenchy.» Le jeune trotteur se dresse droit sous les pins et boxe l'air de ses antérieurs. «Il pète le feu, constate Richard, il va les bouffer, même l'italien.» Varenne, dit Il Capitano, est le phénomène transalpin. Ce grand bai au chanfrein plat et aux joues étroites est invaincu cette année. Des milliers de tifosi, casquettes bleues signées d'un «Il Capitano» argenté, envahissent le champ de courses, tous persuadés d'être supporters du cheval du IIIe millénaire. Deux heures et demie avant le départ, le ballet des «heats» débute. C'est l'instant où les cadors du trotting tâtent le mâchefer de la piste. On se jauge, on enroule les battues, on s'époumone un brin.

Des tribunes, les encouragements vont à Remington Crown, prix de beauté du peloton, à la suédoise Fridhems Ambra qui porte un ruban doré noué dans ses crins et dont l'entraîneur, conducteur de trains dans son pays, a demandé six mois de congé sans solde à ses employeurs pour préparer celle qui lui rend la vie belle. Et, bien entendu, à Général du Pommeau, qui aura six ans dans quatre mois, que l'on surnomme déjà «Le Général».

Montée sans faille. Après avoir gravi tous les échelons de sa promotion avec succès, et cela depuis l'âge de deux ans, on l'attend de pied ferme pour savoir s'il est vraiment la perle d'une décennie, comme le furent Ourasi et Idéal du Gazeau avant lui. Très exubérant chez lui, ruant et cabrant sans cesse pour exprimer sa joie de vivre, sur la piste, il est à son boulot, concentré. Guère haut du garrot (1,58 m), on ne le remarquerait pas facilement s'il ne portait un joli protège-oreilles rouille qui fait également office de bouche-oreilles. Coulissant, cet accessoire ne sera ôté par son driver qu'à l'approche de la dernière ligne droite, dans l'espoir que les bruits de la foule et du peloton l'incitent à un ultime coup de reins.

Son protège-sangle est orange et blanc, teintes de la casaque de ses propriétaires, messieurs Grisanti et Pichon. Ce dernier s'est lancé dans l'élevage il y a une douzaine d'années, après avoir été licencié. Il échange pourtant Actrice du Pommeau contre des saillies d'étalon, mais la récupère quelques années plus tard pour plusieurs dizaines de milliers de francs à une vente de chevaux, alors qu'elle porte Général en son ventre. Il fut le seul à avoir levé la main. Vu le petit gabarit du poulain, il pense qu'il ne parviendra jamais à le vendre et en proposa la moitié à Jacky Grisanti, lequel ne voulait pourtant plus avoir de trotteurs.

Peloton explosé. Après chaque «heat», Général du Pommeau, toupet finement tressé, traverse les allées des écuries et descend tout en bas, dans un box de Hippotel, loin des curieux et des haut-parleurs de l'hippodrome. Il réapparaît juste pour le défilé, calme et discret, puis s'élance parfaitement à l'instant du départ, non loin de Remington Crown qui prend le chemin de la corde, tandis que Varenne navigue en dehors à quatre sulkys de celle-ci. Le public s'inquiète lorsqu'à mi-parcours, Général semble englué dans le peloton. La joie des tifosi colorie le gris des nuages car Varenne, lui, passe ses rivaux en revue à une vitesse suicidaire.

Nullement inquiet, Jules Lepennetier dégage son bai champion aux membres charbonneux et entreprend de recoller à l'italien. L'objectif est atteint avant l'ultime tournant. Varenne est à bout de force, Général gambade à ses côtés et s'envole littéralement dans la ligne droite, impérial, puissant et aérien, sans que son driver ne lui demande d'accélérer et ne lui ôte son protège-oreilles. Des autres, excepté l'inattendu Galopin du Ravary (2e à 48 contre un) et l'épique Varenne (3e) à plus de quatre longueurs, il n'en est plus question. Le peloton est explosé, finit au pas, éreinté par la réduction kilométrique record (1'12''5).

«Il les a terrassés», «s'est promené», «quel crack». Les spectateurs sont ébahis, comblés par la prestation du Général qui, déferré, tricote des gambettes deux fois plus vite. Et Richard de Gieter de conclure, hilare: «Même attelé à l'envers, il se serait encore baladé».

PL AT - dans HIPPISME